ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE SABRINA NOUCHI
Quel était l’objectif principal de ce film sur le viol ?
L’objectif central de ce film était de présenter une diversité de victimes, d’accusés et de contextes variés dans lesquels les viols peuvent se produire. Il visait à susciter une réflexion et une discussion ouverte sur ce sujet souvent entaché de préjugés dans l’opinion publique, en mettant en lumière une pluralité de perspectives et de réalités.
Comment le film aborde-t-il la question du viol d’une manière différente des autres films traitant du même sujet ?
ÇA ARRIVE est une fiction qui a pris pour parti d’adopter une approche réaliste, quasi documentaire, en utilisant tous les protagonistes impliqués dans une affaire de viol. Ainsi, la parole est donnée à tous de manière équitable pour permettre au spectateur d’entrer aussi bien dans la peau des plaignants, des accusés, des témoins que des OPJ. L’originalité de ce film réside dans sa volonté de conserver la plus grande neutralité. Les témoignages se croisent, se contredisent, s’affrontent, et pour la plupart des affaires, le choix a été de ne pas en dévoiler le dénouement, laissant le spectateur avec pour seul juge, son ressenti. Le film oppose l’aspect factuel, cru et pénible du processus de dépôt de plainte pour viol, à l’aspect émotionnel qui nous traverse inévitablement face aux témoignages et aveux parfois presque insoutenable. ÇA ARRIVE ne défend aucune cause, ne prend aucun parti si ce n’est de mettre en lumière la réalité brute, provoquant parfois le malaise et questionnant chacun sur la place du regard porté sur l’autre.
Comment se peut-il que l’acte commis sur la victime devienne plus important que la parole de la victime elle-même ? Sommes-nous capables d’entendre réellement la vraie souffrance, la vraie plainte, la vraie blessure sans jugement de valeurs ni croyances pré-établies et sans voler aux victimes leur histoire intime ? Sommes-nous en capacité d’aller au-delà de nos convictions pour rester pleinement impartiaux et intègres ? Qui sommes-nous pour juger, pardonner, trouver des circonstances atténuantes ?
À travers ces questions, le film vient volontairement perturber le spectateur en le positionnant à la place d’un voyeur, le concept de voyeurisme pouvant être associé à celui qui observe passivement sans intervenir. Les affaires sont traitées en séquences non linéaires, sans suivre un schéma cinématographique classique qui suivrait un film conducteur d’attachement, mais expose de manière successive des affaires de viol, pouvant susciter un sentiment dérangent face à cette « banalité » sordide.
Si l’attachement et l’accompagnement émotionnel n’est pas le propos, l’intention du film n’est pas simplement d’observer les situations froidement, mais bien de susciter de l’empathie pour toutes les parties impliquées, y compris les accusés. Il replace la notion de présumé innocent au centre du propos et interpelle sur nos préjugés et partis pris inconscients. ÇA ARRIVE, avec cette forme atypique, déclenche chez le spectateur une approche plus nuancée, moins confortable que l’évidence, où la remise en question de nos jugements est incontournable.
Alors, comme un miroir morcelé renvoyant nos petites vérités subjectives, nos émotions contrariées et toutes puissantes, le film nous demande de nous regarder en face et d’être capable de nous avouer : qui suis-je pour asséner une sentence
Qu’espérez-vous que les spectateurs retiennent de ce film ?
Je souhaite que les spectateurs saisissent l'intention de ce film qui, délibérément, ne prend pas position, permettant ainsi à chacun de se forger sa propre opinion concernant les situations de viol qu'il met en scène. L'objectif est de laisser à chacun la liberté de réflexion et d'interprétation face à ces sujets délicats.